Je pêche en Méditerranée

LE PONT DE LA CORREGE

Histoire Vraie

Chapitre I                                                                  Yves Néel

Louis Voisin avait invité son cousin Paul Diffre, à une partie de pêche à la ligne sous le Pont de la Corrège. La date de cette sortie avait été fixée, d'un commun accord, au samedi 24 octobre.

Louis était un petit homme frêle et généreux,du genre intellectuel modéré. I1 travaillait à la banque de Leucate, sans joie, sans peine, soumis au système, docile comme la plupart des gens ne nourrissant aucune ambitions particulières.

Paul, lui, était un grand gaillard fort en gueule mais gentil comme personne. Il était viticulteur à Portel-des-Corbières et soignait ses vignes comme si elles fussent des femmes.

Il vivait seul avec son petit chien Ulysse, un pinscher noir,qu'il choyait tel un bébé.

Ces cousins, célibataires endurcis tous les deux,emplis d'habitudes immuables,s'aimaient comme des frères.

Le célèbre Pont de la Corrège, situé à Leucate, à mi-chemin entre Narbonne et Perpignan, suscita en son temps, beaucoup de passion mais aussi de nombreux conflits.

A l'époque, à la demande expresse des pêcheurs professionnels et des ostréiculteurs,une grande grille formant un barrage avait été installée sous ce pont, pour ne plus en bouger du mois d'octobre au mois de février. Et par la suite, chaque année, une grue venait poser l'immense porte métallique en automne et revenait l'enlever au printemps.

En prolongement de la mer, Leucate jouit d'un étang d'une superficie considérable, qui, plus qu'une banale étendue d'eau saumâtre, est un véritable patrimoine naturel unique en son

genre,doublé d'un réservoir à poissons encore assez peuplé de daurades, de loups et d'anguilles .

Les professionnels de la pêche donc, avaient instauré ce dispositif, dans le but lucratif d'enfermer des tonnes de poissons dans cet étang. Ainsi, dès les premiers froids, les diverses espèces voulant naturellement migrer vers les eaux plus chaudes de la mer, se trouvaient prisonnières de leur propre milieu livrées à la merci des kilomètres de filets calés pour leur capture. La finalité du principe était tout à fait claire : Il importait de remplir les pièges le plus possible et de retirer un maximum d'argent de la vente des prises. Malgré cela"tous les ans à la fin de l'hiver, on entendait les pêcheurs-ostréiculteurs dire: la saison de pêche a été mauvaise ou, plus rarement : la saison a été très moyenne. Jamais,au grand jamais,à les écouter, elle n'eût été bonne, voire très bonne. Selon eux, elle était à peine suffisante à couvrir les frais du rôle. Ils préféraient se lamenter sur leur sort, par crainte, certainement, qu'on ne les imaginât dans une position financière trop confortable.

Mais ce fameux barrage était loin d'attiser l'unique convoitise des professionnels et intéressait également au plus haut point, les pêcheurs amateurs,les pêcheurs à la ligne...

A proximité de la grille qui barrait la sortie de l'étang vers la mer, on en dénombrait parfois plus de cent cinquante, répartis sur les deux quais disposés face à face et séparés par une

vingtaine de mètres. Au milieu suivant les courants et les vents,l'eau bouillonnait et coulait à la vitesse d'un torrent,offrant à ceux qui jetaient leurs lignes,des moments mémorables et des bourriches pleines. Certes, le problème majeur était que sous ce pont, inscrit en lettres capitales et à la peinture à l'huile, on lisait : PECHE INTERDITE SOUS PEINE DE P.V.

En effet, les pêcheurs professionnels étaient farouchement opposés au fait, que des passionnés de la gaule se permettent de voler leur gagne-pain. Aussi, avec l'approbation de la

commune et le soutien des affaires maritimes, avaient-ils réussi à rendre le site interdit à la pêche à la ligne et même au stationnement des voitures.

Toutefois, personne ne semblait vraiment épouvanté par ce diktat et des querelles puériles naissaient souvent entre gendarmes et braconniers . 

Voilà décrit l'endroit où les deux cousins allaient se régaler d'une partie de pêche.