Je pêche en Méditerranée

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Le Pont de La Corrège chapitre IV

 

Chapitre IV                                                                                           Yves Néel

 

 

Le lundi suivant, Louis quitta son bureau à dix-sept heures tapantes, comme chaque soir, s'arrêta prendre le journal qu'on lui réservait quotidiennement, acheta ses deux tranches de jambon blanc, envoya son bonsoir à la mercière en frappant deux coups faibles sur sa vitrine, souleva sa casquette afin de saluer le quincaillier, fit une halte sur la place pour parcourir des yeux les annonces municipales, compta sa monnaie pour donner l'appoint au buraliste, toujours comme chaque soir ... comme chaque soir de tous les jours de sa vie.

Pourtant, ce soir là fut pour lui différent des autres :

Soudain, une idée obsédante, ce genre d'idée fixe dont on ne soupçonne la provenance mais qui trouble et harcèle les esprits les plus équilibrés, lui commanda de se rendre au port. Une fois là-bas, il interrogerait les personnes s'y trouvant et étant peut-être susceptibles de le renseigner sur la perte d'Ulysse.

Louis donc, comme guidé par une force surnaturelle, sortit sa voiture du garage et fonça en direction de la Corrège.

Une fois sur place, étonné, il aperçut un attroupement composé d'une douzaine de badauds.

Au bord du quai, tous ces gens entouraient un pêcheur qui, visiblement, luttait contre une grosse pièce. Et les commentaires affluaient tous azimuts :

-C'est une daurade énorme! s'écriait quelqu'un

-Non, non ! C'est trop lourd pour être une daurade ... c'est un loup ! ... un beau loup ! S'écriait un autre.

Et chacun donnait sa propre version, convaincu de la fiabilité de son pronostic et impatient de voir l'engin frétiller dans l'épuisette.

Louis, muet, s'approcha du groupe,et comme tout le monde, assista au combat. Il se passa un bon quart d'heure, au cours duquel, régnait une surexcitation endiablée.

-ça y est ! Ça vient ...ça vient ! Hurla tout à coup le pêcheur. Préparez le salabre(épuisette),vite ! ... vite!!

La nuit était tombée, aussi, à l'aide de trois puissantes lampes à crevettes, les hommes éclairèrent les lieux. On distinguait maintenant comme en plein jour.

Un jeune homme plongea l'épuisette sous l'eau et affirma, hilare,qu'il était prêt à recevoir la prise.

Le pêcheur,lui, tremblait de tout son corps et le souffle semblait lui manquer. Le crin de sa ligne chantait dans les airs,la canne était pliée en deux, sur le point de rompre, le moulinet grinçait d' épuisement.

Enfin, une masse sombre apparut à la surface du liquide écumeux, une masse à moitié pelée et enflée, une charogne, en vérité, qui n'était pas un loup ni une daurade, puisqu'elle montrait quatre pattes tournées vers le ciel.

Le jeune homme à l'épuisette, affolé, recula de dix mètres au moins. Et tous les gars, épouvantés, émirent d'un même son, un cri de terreur.

 

Louis s'avança sans calculer, agrippa d'une main le gros nylon du lancer, et hissa le bloc compact sur le rebord du quai. Il détacha ensuite l'hameçon triple accroché sous le collier de la chose et lut, sur la médaille ronde suspendue à celui-ci : ULYSSE -PORTEL . Alors, il fit un bon en arrière,médusé, puis balbutia:

-Mon Dieu ... le pauvre!

On lui demanda s'il savait à qui appartenait l'animal.

-Non ...non, non, répondit-il. Mais je suis triste quand même.

Et il s'éloigna en direction de sa voiture, la démarche accablée.

Les pêcheurs considérèrent encore un moment la bête en putréfaction, puis l'un d'eux, du bout de son pied, la renvoya dans le monde des crabes.

De retour chez lui, Louis empoigna son téléphone et composa le numéro de son cousin :

-Allô ! ... allô, c'est toi Paul, dit-il. Bonsoir, c'est Louis . Je ... je viens de la Corrège et ... et ... j'ai une mauvaise nouvelle à t'apprendre.

-Oh ! Je m'en doute, tu sais ... je ne suis plus un gamin.

-Voilà : deux types que je connais assez bien, m'ont assuré avoir vu, samedi, un homme embarquer un pinscher, dans une voiture immatriculée en Haute-Garonne... mais sans penser que cet homme le volait. Ils ont été formels ! Le plus âgé m'a même dit, qu'un pinscher ne passait pas inaperçu...et ... et que cette race était si rare, chez nous,qu'il était sûr de ne pas se tromper. Paul, s'il te plaît, sois courageux ! ... et pardonne-moi! Imagine qu'Ulysse pourrait être mort ... écrasé sur la voie rapide ... mais ce n'est, heureusement, pas le cas !

 

 

FIN

 

YVES NEEL

 

nouvelle tirée de l'ouvrage"nouvelles des corbières, Camille et autres nouvelles" de yves néel

 

"Cet ouvrage est protégé par le code de propriété intellectuelle . Toute reproduction totale ou partielle, serait sévèrement punie par la loi"

 



02/05/2008
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